Data Science : Vendre quelque chose que le client ne comprend pas
Vendre est un acte compliqué qui exige un tas de compétences. C’est encore plus vrai quand ce qu’on vend n’est pas compréhensible par celui qui l’achète. Cette situation vous paraît étrange ? C’est pourtant la situation de vente qui est en passe de devenir la plus fréquente. En tout cas pour ma part, c’est le monde dans lequel j’évolue depuis le début de ma carrière. Je ne suis pas commercial mais « data scientist » (enfin avant on disait « ingénieur en traitement du signal » ou « data mining », « machine learning », etc.). Cependant, il y a quand même une dimension « vente » dans ce type d’activité. Directement quand on défend un projet « data » en interne, ou indirectement quand on crée une fonctionnalité « data » que des commerciaux s’efforceront de vendre aux clients.
Même dans mon ancienne activité de prof’ en école d’ingénieur, l’activité de recrutement d’étudiants était aussi une situation de vente, où le client ne comprend pas vraiment ce qu’il achète. En effet, le futur étudiant ne connaît pas les matières qu’il va étudier et n’est pas en capacité de juger lui-même la qualité du professeur qui va enseigner et, en général, ses parents non plus.
Bref, « vendre quelque chose à quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’il achète » est en fait beaucoup plus courant qu’on ne le pense.
Principe général : vendre de « l’intelligence » est compliqué car, par définition, vous allez devoir le vendre à un « ignorant » (s’il savait, il n’aurait pas besoin de vous). Se pose alors la question de comment convaincre sans pouvoir expliquer ? Car expliquer est ici la pire stratégie : c’est là que vous allez faire prendre conscience de combien vous êtes différent de votre prospect, or cette différence va impliquer de la méfiance. Il faut donc insister sur les gains métiers que vous allez apporter, en expliquant très superficiellement comment vous faites.
Cette approche est plus efficace mais elle pose un autre problème : comment être crédible en expliquant des avantages métier ? Surtout quand on n’est pas un expert du métier en question…
C’est bien souvent le cas en tant que « Data Scientist », on a au mieux une expérience dans le domaine, mais on n’est pas « L’Expert ».
On comprend alors que le « marché de l’intelligence » se structure avec des intermédiaires. En général ces intermédiaires ont la connaissance métier (et un profil commercial), pour la crédibilité, mais n’ont pas besoin de la compétence « machine learning », car il faut que l’explication du comment reste superficielle.
Lors de mon expérience passée de prof’ (en école d’ingénieur), j’étais surpris de voir que ce recrutement se faisait via pléthore d’intermédiaires (via des concours communs, des centres d’orientation ou des forums étudiants, .etc.). Là aussi la raison fondamentale de cette structuration c’est que celui qui achète ne comprend pas ce qu’il achète…
Le bon côté des choses c’est que ces intermédiaires fluidifient le marché. Ils aident les acheteurs à être plus « intelligents » et les créateurs à vendre leur produit ou service, tout simplement.
Le mauvais côté des choses, c’est que ces intermédiaires n’ont pas de réel intérêt au-delà de la vente, par conséquent ils peuvent forcer des ventes qu’il aurait mieux valu éviter. Dans ce cas, l’acheteur s’est « fait avoir » et fait vivre un vrai cauchemar au vendeur « d’intelligence », car à ce moment-là l’intermédiaire ne peut rien faire car il est externe à toutes les parties, et bien souvent il n’a plus aucun intérêt financier à le faire.
On a déjà vu ce phénomène avec les SSII (sociétés de services en ingénierie informatique) qui ont vendu de « l’informatique » à des entreprises dont ce n’était pas le métier, mais qui avaient besoin de « s’informatiser »…
Le résultat est une informatisation rapide de l’industrie et des PME, mais aussi pléthore de projets qui explosent les coûts, qui n’arrivent pas à terme ou qui ne remplissent pas les besoins.
Cela génère aussi des armées d’ingénieurs mal dans leur peau car employés par ces fameux intermédiaires qui ne les comprennent pas, et dont le focus se situe uniquement sur la signature d’un contrat. Une fois « seul » face au client, le gap qu’avait comblé l’intermédiaire est alors le lot journalier de ces ingénieurs.
Fort de cette expérience, on peut espérer un meilleur avenir pour le marché de l’IA/data science que celui des SSII. Tout d’abord parce que les profils capables de produire de l’IA sont plus exigeants et ils peuvent l’être car ils sont aussi plus rares. Les entreprises, échaudées par les SSII (mais souvent encore pieds et poings liés avec elles) ne sont pas prêtes à faire deux fois la même erreur. Leur système d’information est aux mains de gens qui ne travaillent pas pour eux mais pour la SSII. J’espère que pour la partie « intelligence » ils feront le pari de l’internalisation. La masse salariale de la data science étant bien plus petite que celle de l’informatique générale, c’est peut-être aussi plus facile.
#DataScientist = (#Math + #Informatique + Connaissances #Business) #BigData #DataScience Click To Tweet
Une définition courante du data scientist présente son profil comme un mix de math + informatique + business insiste bien sur la connaissance business/métier :
On peut alors espérer que les gens qui vont vouloir embaucher des data scientists comprendront qu’il est primordial qu’ils soient des employés directs de l’entreprise, car la connaissance métier est primordiale et ne peut se faire que sur la durée et dans la confiance. Même plus que la connaissance métier, il faut une connaissance fine de l’entreprise pour laquelle il travaille (ses forces et faiblesses, ses marchés, ses partenariats, sa stratégie, etc.).
Il me paraît donc primordial que le data scientist soit embauché directement par l’entreprise. Les cabinets de conseil spécialisés dans le recrutement de profils data, peuvent fluidifier l’embauche. Leur expérience spécifique du domaine permettra de comprendre les besoins et de les traduire en type de profils. Notez bien que je parle d’embauche, pas de « service ».
La dernière solution que je vois est l’approche SaaS : Software as a Service. Je fais la distinction entre SaaS et API. Les API s’adressent aux développeurs qui savent déjà ce qu’ils cherchent, ils ont souvent un problème précis à résoudre. Par exemple, un développeur peut tout à fait utiliser une API de classification de textes ou d’image pour automatiser la modération d’un forum pour limiter les messages inappropriés. Mais je pense que les services intégrés, de type SaaS qui fournissent à la fois l’expertise métier + l’expertise scientifique + l’expertise technique, seront plus à même d’avoir un réel impact sur l’efficacité des entreprises. Ainsi, l’expert métier utilise des outils dont la complexité et la sophistication le dépassent, mais cela se fait dans un cocon métier qu’il connaît. C’est d’ailleurs cette configuration humain et IA qui a la faveur de la plupart des experts qui sont confiants dans un avenir où l’IA sera partout, sans forcément détruire de l’emploi.
Pour vous parler d’un exemple que je connais bien (je travaille chez AB Tasty) : les outils de « test A/B » pour le web. Ils fournissent aux « digital marketeurs » des outils permettant de montrer des pages web différentes selon les clients arrivant sur leur site. Cela permet de tester des présentations différentes ou même du contenu ou des services différents. Les performances induites par les modifications sont mesurées et analysées. C’est un processus d’amélioration continue de site web. Cela implique des compétences techniques de développement web, ainsi que des compétences scientifiques pour les tests statistiques et les analyses, sans parler des outils prédictifs encore plus complexes. Tout cela est totalement extérieur au digital marketeur, mais il peut pourtant l’utiliser car c’est orienté métier. Cependant, même dans ce contexte, avec « cocon métier », il y a souvent encore un intermédiaire : l' »agence web », qui va aider le client final à identifier ses besoins et à faire la mise en œuvre à sa place.
En résumé : que vous vouliez vous vendre en tant qu’expert ou que votre startup vende de « l’intelligence », vous allez être obligé, d’une manière ou d’une autre, de passer par un intermédiaire… Et sur les nouveaux marchés, ces intermédiaires sont à identifier parmi les acteurs du domaine.